Les différentes pièces squelettiques que nous avons décrites dans le livre précédent ne sont pas isolées. Elle s’unissent les unes aux autres, suivant les modes les plus divers, pour constituer ce que l’on désigne indistinctement sous le nom de Jointures, d’articulations ou d’articles. Nous pouvons donc définir les articulations l’ensemble des parties, molles et dures, par lesquelles s’unissent deux ou plusieurs os voisins, et l’arthrologie (de àprpov, jointure), encore appelée syndesmologie (de g’jvSeojjloç, ligament) est cette partie de l’anatomie qui a pour objet leur étude. L’arthrologie a acquis dans l’enseignement une importance toujours croissante et c’est justice : les articulations en effet, avec leurs nombreuses variétés, n’intéressent pas seulement les morphologistes ; elles intéressent aussi les physiologistes et les chirurgiens, les physiologistes par le rôle important qu’elles jouent dans la mécanique animale, les chirurgiens par les diflérentes affections dont elles peuvent être le siège et par les opérations qu’on est appelé à pratiquer sur elles.
Envisagée à un point de vue purement anatomique, toute articulation nous offre à considérer :
- des surfaces osseuses ;
- des parties molles interposées ou interosseuses ;
- des parties molles placées autour d’elles ou périphériques.
Mais ces parties communes revêtent des caractères bien différents dans les nombreuses articulations que présente le squelette. Réduites dans la tête à la plus grande simplicité, elles vont se développant peu à peu sur le tronc, pour acquérir leur plus haut degré de différenciation au niveau des membres. Ici, en effet, nous voyons d’une part les extrémités osseuses s’élargir et se recouvrir d’une couche cartilagineuse indestructible, d’autre part de solides moyens d’union se disposer tout autour de ces extrémités osseuses et circonscrire avec elles une cavité que baigne un liquide destiné à favoriser les déplacements. Quelle différence n’y a-t-il pas entre Une telle articulation et cette jointure, propre à la région céphalique, où une simple lame cartilagineuse ou conjonctive sépare deux os contigus ou réciproquement engrenés. D’un côté, tout est admirablement disposé pour des mouvements faciles, variés, étendus. De l’autre, tout est disposé, au contraire, pour assurer l’immobilité des pièces squelettiques en présence. On serait presque tenté, si on n’était retenu par les données embryogéniques, de rejeter ces jointures immobiles de la tête du cadre de l’arthrologie, pour les rapprocher des extrémités épiphysaires d’un os large, dont l’épiphyse et la diaphyse sont réunies l’une a l’autre par le cartilage de conjugaison. Un pareil rapprochement aurait pour lui ce fait que certaines articulations du crâne et de la face disparaissent avec l’âge, comme disparaît sur un os large l’os coxal par exemple, la limite qui sépare primitivement la diaphyse de la pièce épiphysaire.
Les différences morphologiques, à la fois si nettes et si profondes, qui existent entre ces organes disparates, que l’on a l’habitude de réunir sous la dénomination commune d’articulations, a imposé de tout temps des divisions séparatives. Les anciens auteurs, considérant avant tout la nature, les moyens d’union, admettaient quatre groupes d’articulations :
- les synchondroses, dans lesquelles les surfaces articulaires sont réunies par du cartilage;
- les synévroses, comprenant les articulations dont les surfaces sont maintenues en contact par des ligaments ;
- les syssarcoses, articulations dans lesquelles les muscles sont les principaux moyens d’union;
- les méningoses, dont le type est fourni par les os du crâne fœtal réunis à l’aide des membranes.
Cette classification n’a plus aujourd’hui qu’une valeur historique. — BICHAT, depuis longtemps déjà, lui a substitué une nouvelle division, basée, non plus sur l’anatomie, mais sur la physiologie. Parmi les articulations, il en est de mobiles et il en est d’immobiles : les premières avaient déjà reçu de GALIEX le non de diarthroses ; les secondes, celui de synarthroses. Mais, à côté de ces deux grandes classes, il en est d’autres qui, sans être complètement immobiles, ne jouissent cependant que de mouvements peu étendus ; elles tiennent le milieu entre les articulations manifestement mobiles et les articulations complètement immobiles. AVLVSLOW les avait désignées, bien avant BICHAT, sous le nom d’amphiarthroses. Celui-ci, pour rester fidèle à sa nomenclature, les appela des articulations semi-mobiles.
Cette triple division des articulations en articulations mobiles ou diarthroses, articulations semi-mobiles ou amphiarthroses, et articulations immobiles ou synarthroses est admise aujourd’hui par la plupart des auteurs classiques. C’est celle que nous adopterons nous-même dans les considérations générales qui vont suivre.
Mais, avant d’exposer les caractères distinctifs des trois types articulaires précités, il nous parait indispensable de rappeler en quelques mots quel est leur mode de développement.
SIMPLE APERÇU EMBRYOLOGIQUE
Primitivement les différentes pièces squelettiques, encore à l’état d’ébauches cartilagineuses, ne sont pas en contact comme elles le sont chez l’adulte. Entre elles et sur les points où existeront plus tard des articulations, s’étale une zone plus ou moins épaisse, à laquelle IIEXKE et IIEYHER ont donné le nom de disque intermédiaire (fig. 361).
Ce disque intermédiaire ou intercartilagineux se compose lui-même de trois couches distinctes :
1° une couche moyenne, formée par du tissu mésenchymateux indifférent ;
2° deux couches extrêmes, qui s’appliquent directement sur les ébauches cartilagineuses correspondantes et qui, en raison de leur rôle dans le développement de ces dernières, sont appelées couches chondrogènes. Cette couche chondrogène, du reste, n’est pas limitée à la région de la future articulation, mais entoure la pièce cartilagineuse dans toute son étendue.
Ceci posé, voyons les transformations successives qui vont se produire dans la région précitée, pour aboutir, suivant les cas, à une articulation mobile, à une articulation semi-mobile ou à une articulation immobile.
Articulations mobiles
Les pièces squelettiques cartilagineuses s’allongeant progressivement, par suite de nouveaux dépôts cartilagineux sous la couche chondrogène, marchent peu à peu à la rencontre l’une de l’autre. En même temps, et comme conséquence de ce rapprochement, la couche mésenchymateuse moyenne du disque intermédiaire diminue et finit même par disparaître : les deux couches chondrogènes sont alors juxtaposées et confondues (fig. 363, A). Celles-ci se transforment alors, pour la majeure partie, en cartilage et, cette transformation une fois effectuée, les deux pièces cartilagineuses correspondantes sont en contact à peu près. immédiat. Elles sont séparées encore, comme l’ont établi les recherches récentes de RETTEIÎER (Soc. de Biol., 4894), par une mince lame de tissu conjonctif embryonnaire, lequel ne s’est pas transformé en cartilage et a évolué en un tissu conjonctif muqueux. « Il est constitué par des cellules fusiformes et étoilées dont les prolongements multiples s’anastomosent et circonscrivent des mailles remplies de gélatine de Wharton. Peu à peu, ces mailles deviennent de plus en plus larges, les prolongements des cellules de plus en plus minces ; le corps cellulaire forme une masse de moins en moins nette ; le noyau fixe à peine les matières colorantes. En un mot, les cellules et leurs prolongements s’atrophient et finissent par disparaître ainsi que les noyaux. » (RETTERER.) Par suite de cette disparition graduelle du tissu conjonctif muqueux, qui était interposé entre les deux segments squelettiques, ces derniers, devenus libres, sont séparés maintenant par un simple intervalle linéaire : c’est la fente articulaire des embryologistes, autrement dit la cavité articulaire de la future articulation (fig. 363, B).
Bientôt après, le tissu embryonnaire qui entoure l’article, contrairement à celui qui séparait les segments cartilagineux, s’épaissit et se différencie en une formation fibreuse, qui devient la capsule fibreuse et les ligaments périphériques.
L’articulation se complète ensuite par l’apparition, sur la face interne de son appareil ligamenteux, d’un endothélium qui constitue l’élément essentiel de la synoviale. Enfin, plus tard, lorsque l’os remplacera le cartilage, le processus ossificateur respectera toujours la partie de la pièce squelettique primitive qui confine à l’articulation : cette partie, qui conserve ses caractères de cartilage hyalin et qui restera telle durant toute la vie, constitue le cartilage articulaire ou cartilage diarthrodial (fig. 363, C).
Tel est le mode d’origine de toutes les articulations mobiles dont les surfaces sont concordantes, c’est-à-dire sont en contact dans toute leur étendue. Pour celles qui ont des surfaces discordantes, je veux dire des surfaces qui ne se touchent que sur certains points, les choses se passent d’une façon un peu différente. La couche mésenchymateuse moyenne, au lieu de s’atrophier et de disparaître comme tout à l’heure, s’organise au contraire en un tissu fibreux, qui persiste chez l’adulte sous la forme d’un disque aplati, séparant les deux pièces squelettiques en présence et se moulant exactement sur chacune d’elles. Puis, au-dessus et au-dessous du disque fibreux, entre lui et chacune des pièces squelettiques correspondantes, se forment deux fentes articulaires. Le développement une fois terminé (fig. 363, D), nous avons une articulation mobile d’un genre spécial : une articulation possédant deux cavités et, entre ces deux cavités, un fibro-cartilage ou ménisque interarticulaire. L’articulation temporo-maxillaire nous fournit un exemple très net de cette disposition.
Dans d’autres cas, la partie centrale de la couche mésenchymateuse moyenne disparaît seule. Sa partie périphérique persiste et se différencie comme précédemment en tissu fibreux : elle comblera, chez l’adulte, l’intervalle qui sépare périphériquement deux surfaces articulaires non concordantes, se touchant seulement par leur partie centrale. Telle est l’origine et la signification des cartilages semilunaires du genou et des bourrelets marginaux, que l’on rencontre dans les articulations de l’épaule et de la hanche (fig. 363, E).
Articulations semi-mobiles
Sur les points où les segments squelettiques en présence, tout en conservant une mobilité relative, auront surtout-besoin d’être fortement et solidement unis, sur la colonne vertébrale par exemple, les deux couches chondrogènes se différencient, comme pour les articulations mobiles, en cartilage hyalin, tandis que la couche mésenchymateuse moyenne se transforme en un disque fibro-cartilagineux, qui adhère d’une façon intime aux deux pièces squelettiques correspondantes (fig. 379, A). Ainsi se développent les amphiarthroses vraies. Pour les diarthro-amphiarthroses (voy. plus loin), le processus formateur est exactement le même, avec cette seule variante qu’il se développe ultérieurement, dans l’épaisseur même du disque fibreux, une fente articulaire (fig. 379, B).
Articulations immobiles
Le processus en vertu duquel se développent les synarthroses est le même tout d’abord que celui qui prépare la formation des diarthroses. La couche mésenchymateuse disparaît entièrement, les deux couches chondrogènes se différencient en cartilage hyalin et les deux pièces squelettiques correspondantes se trouvent naturellement, après cette dernière différenciation, en contact immédiat. Alors, au lieu de se séparer par une fente, comme cela se voit pour les diarthroses, elles se fusionnent réciproquement et la synchondrose est constituée. A la partie supérieure du crâne, où les os se forment et s’accroissent au sein d’une ébauche conjonctive, sans cartilage préexistant, le processus est encore plus simple : les pièces osseuses, au fur et à mesure qu’elles progressent, se rapprochent, arrivent au contact et se juxtaposent, le plus souvent suivant des surfaces rugueuses ou même dentées, qui se correspondent exactement : telle est l’origine des sutures.